« Une histoire de l’art bleue » : un champ en devenir
Le colloque « Une histoire de l’art bleue. Création artistique, biodiversité et environnement océanique (XXe-XXIe siècles) » s’est tenu à Marseille (Station marine d’Endoume/Mucem) les 23 et 24 mai 2024. Il avait pour objectif de fédérer les regards, méthodes et outils de chercheur·es issu·es de différentes disciplines, mais aussi d’artistes et de professionnel·les des musées, autour d’œuvres d’art liées à l’océan. Il s’agissait ainsi de dresser un état de la recherche sur l’histoire de la constitution des savoirs, des récits – notamment scientifiques – et des sensibilités à l’océan à travers les arts, mais aussi d’identifier les questions et thématiques principales qui émergent de la recherche actuelle autour des arts et de l’océan, susceptibles d’intéresser une communauté scientifique interdisciplinaire. Un choix a été fait de porter une attention particulière aux non-humains marins.
Le colloque a été porté par le TELEMMe (CNRS-AMU), en collaboration avec l’IMBE (CNRS-IRD-AMU-Université d’Avignon) et le Mucem, qui ont accueilli l’événement. Il a reçu les soutiens du GDR OMER (groupement de recherche océan et mers du CNRS) et, au sein d’Aix-Marseille Université : de l’Institut OCEAN, de la Mission Interdisciplinarité(s), du Fonds d’intervention recherche et du programme Méditerranée de l’Iméra. Il a également été labellisé dans le cadre du Printemps de l’histoire environnementale du RUCHE et de la mission « Restore our Ocean and Waters » (Horizon Europe).
Le titre, « Une histoire de l’art bleue », fait référence au champ des blue humanities, qui réunit les recherches interdisciplinaires prenant l’océan comme sujet. Ce champ, en cours de structuration de manière particulièrement effective depuis une dizaine d’années, atteint actuellement une certaine maturité à échelle internationale, avec de premiers readers (manuels) en cours de publication. En France, s’il existe notamment au sein des structures partenaires de l’événement, le terme blue humanities était jusqu’ici peu répandu ou revendiqué. Ce colloque avait l’ambition particulière d’y donner une place de premier plan aux œuvres d’art et aux potentialités qu’elles détiennent en matière de compréhension de notre rapport à l’océan et au vivant marin, ainsi qu’en matière de projection scientifique dans le contexte actuel de « crise de la sensibilité » à l’environnement. L’événement avait donc vocation à fédérer une communauté autour des arts visuels au sein des blue humanities, sans réduire cette communauté au cadre d’analyse traditionnel des œuvres d’art dans le champ académique, l’histoire de l’art. La relation spéciale entretenue à travers le temps entre les arts et les pratiques scientifiques liées à l’océan justifient ce prisme qui s’est révélé particulièrement nécessaire et pertinent.
Différents formats ont traversé l’événement : des communications individuelles (chercheur·es ou artistes) réunies au sein de six panels thématiques ; deux tables-rondes mettant en dialogue artistes, chercheur·es en sciences humaines et sociales et chercheur·es en écologie marine sur des démarches ou objets liant arts et sciences ; une conférence keynote ; un lancement d’ouvrage ; une performance artistique [pour les disciplines concernées, voir billet 3 dévolu à la pratique de l’interdisciplinarité]. Ces formats ont à la fois rendu compte des travaux naissants de jeunes chercheur·es en début de doctorat, et même en fin de master, qui proposent des sujets ou des approches originales autour de l’écriture d’une histoire de l’art bleue, et de travaux pionniers d’une approche interdisciplinaire de l’océan. Parmi ceux-ci, Margaret Cohen a notamment délivré la conférence keynote sur les potentialités de l’objet océan de réunir les chercheur·es au-delà des différents types de cultures scientifiques, à travers le cas pratique des travaux menés par son équipe interdisciplinaire à Stanford University.
Au-delà des thématiques de chaque panel [voir programme], deux thèmes transversaux ont traversé les interventions : les contextes de constitution de formes sensibles relatives à l’océan – notamment à travers la rencontre entre artistes et chercheur·es – et l’impact que ces formes sensibles ont pu avoir, ou pourraient avoir à l’avenir, au sein des sociétés qui les accueillent. D’importants temps d’échanges ont été aménagés avec le public afin d’identifier les questions qui animent actuellement la communauté réunie autour de l’art et de l’océan. Parmi elles ont notamment émergé :
– L’effet des activités humaines, et notamment de la pêche, sur les sensibilités
– Le brouillage des frontières entre représentations artistiques et scientifiques de la biodiversité marine
– Les nouvelles définitions du musée et de la patrimonialisation dans une perspective océanique
Ces grandes questions nécessitent désormais d’être traitées par des travaux individuels dans les disciplines représentées, mais aussi par des travaux collectifs interdisciplinaire à fédérer dans le sillage de la dynamique du colloque. Ces travaux seront à même d’ouvrir de nouvelles perspectives pour construire et analyser une culture visuelle partagée de l’océan, absolument déterminante dans les relations que nos sociétés nouent actuellement avec lui. Il est par ailleurs ressorti de l’événement que les arts, au-delà de la seule « litéracie océanique » à laquelle ils sont traditionnellement associés dans les démarches interdisciplinaires, détiennent le pouvoir de penser la rencontre de différents types de savoirs (y compris non-scientifiques) sur l’océan, nécessaires à l’analyse des impacts anthropiques qu’il subit. Les résultats de ces travaux doivent aussi apporter des éléments de soutien à une pensée critique dans le contexte des frictions politiques qui caractérisent actuellement les discussions autour de la dite « gestion » de l’océan et du vivant marin.
Crédits photographiques de “l’image à la une” : Lisa Cubaynes
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lola Maraninchi (3 juillet 2024). « Une histoire de l’art bleue » : un champ en devenir. Crossdisciplines. Consulté le 18 mars 2025 à l’adresse https://crossdisciplines.hypotheses.org/862