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« Une histoire de l’art bleue » : l’interdisciplinarité en pratique

L’approche interdisciplinaire a été inhérente à la conceptualisation du colloque « Une histoire de l’art bleue. Création artistique, biodiversité et environnement océanique (XXe-XXIe siècles) » qui avait pour l’objet non pas une discipline, l’histoire de l’art, mais l’entité océan. Les disciplines concernées ont été les suivantes : histoire de l’art, histoire des sciences, histoire, anthropologie, écologie marine, psychologie environnementale, philosophie des sciences, esthétique, muséologie. Le comité scientifique était composé de Juliette Bessette (histoire de l’art-histoire des sciences), Christina Heflin (histoire de l’art), Daniel Faget (histoire), Thierry Perez (écologie marine) et Anne-Sophie Tribot (écologie marine/sciences sociales de la conservation). La nature fondamentalement interdisciplinaire de l’événement est également signalée par les partenaires [voir billet 2 de synthèse du colloque]. Les discussions au sein du comité scientifique ont notamment porté sur l’usage des termes du sous-titre, « biodiversité » et « environnement océanique », qui ne recouvrent pas les mêmes objets à travers les disciplines, (sciences naturelles et SHS). Le format de l’événement a été trop restreint pour pouvoir élaborer davantage sur ce sujet en dehors des thématiques de panels, et cette question spécifique pourrait être traitée à travers un workshop dédié. Le cadre interdisciplinaire du colloque semble avoir incité les intervenant·es à adopter une démarche réflexive sur leurs propres sources et méthodes, qui ont souvent été mises en avant. L’adaptation au contexte interdisciplinaire a généralement été effective pour les intervenant·es et le public, les frictions liées aux cultures scientifiques donnant généralement naissance à des conversations fructueuses plutôt qu’à des incompréhensions.

 

Trois temps du colloque ont apporté une réflexivité particulière quant à l’interdisciplinarité :

1/ L’intervention keynote de Margaret Cohen, chercheuse en littérature, a porté sur l’océan au-delà des « deux cultures » identifiées par C. P. Snow en 1959 (culture littéraire et culture scientifique). La chercheuse a rendu compte de son expérience à travers le programme interdisciplinaire Connecting the Blue Humanities and the Ocean Sciences (Stanford University). Elle a mis en avant certaines difficultés, notamment dans la possibilité de trouver un sujet précis autour duquel publier collectivement. Elle a aussi présenté certaines méthodes établies expérimentalement et souligné que, de son point de vue, l’objet océan amène les chercheur·es engagé·es dans une démarche interdisciplinaire à renoncer partiellement, au moment de la collaboration, à la production de connaissance à destination de leur seule communauté disciplinaire. Elle a également décrit cette dynamique interdisciplinaire comme une opportunité épistémologique pour secouer les hiérarchies disciplinaires à l’œuvre dans les universités. Enfin, elle s’est appuyée sur le concept de « chercheurs interstitiels » [interstitial scholars] élaboré par Melody Jue, une posture décrite comme la conséquence d’un travail sur l’objet océan.

 

2/ Les conclusions de Thierry Perez et Daniel Faget ont mis en avant un moment important pour la fédération interdisciplinaire des regards sur l’océan à travers les arts, à situer dans une dynamique en cours, notamment au CNRS, et qui reste à renforcer encore. Un constat a été dressé de l’inefficacité relative des discours disciplinaires pour la sensibilisation du public aux problématiques environnementales en ce qui concerne l’océan. Plus largement, les limites du discours scientifique lui-même sont ressenties et les arts sont intégrés à une réflexion interdisciplinaire pour leur potentialité d’activation de ressorts émotionnels qui donnent à ce discours sa plénitude en société. Selon les deux intervenants, l’interdisciplinarité ne doit pas être envisagée dans la perspective d’une quête d’un mode d’emploi ou d’un chemin standard, mais doit être respectée dans la multitude de ses formes, y compris dans les expérimentations menées avec les arts. L’interdisciplinarité est ici pensée comme le fruit d’une volonté commune de personnalités engagées dans cette démarche. En ce qui concerne les questions environnementales liées à l’océan, les deux intervenants ont isolé des terrains potentiels de cette interdisciplinarité : 1) la promotion de pratiques durables, notamment en ce qui concerne la pêche 2) un travail autour de la notion problématique de « service écosystémique » afin d’offrir de nouveaux cadres de pensée et d’action à la conservation des écosystèmes marins. L’approche de l’océan par le prisme des arts telle qu’elle a été défendue dans ce colloque ouvre des pistes à l’appropriation collective et critique, au sein de nos sociétés, des sujets liés à la conservation de l’océan et de la biodiversité marine.

3/ L’interdisciplinarité a également été abordée au sein des tables-rondes (artiste, chercheur·es en écologie marine, chercheur·es en SHS) sous l’angle de la complémentarité des approches et des méthodes d’enquête sur un sujet donné, y compris avec la pratique artistique elle-même. L’importance de l’amitié interpersonnelle dans la mise en œuvre de cette complémentarité a été soulignée à plusieurs reprises.

 

Du fait du cadre d’analyse de l’événement centré sur les arts et la culture matérielle, il a permis la constitution d’un réseau de recherche au-delà des seules disciplines académiques représentées, notamment en direction des musées (Mucem, musée national de la Marine, etc.).

 

Crédits photographiques de “l’image à la une” : Lisa Cubaynes


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lola Maraninchi (3 juillet 2024). « Une histoire de l’art bleue » : l’interdisciplinarité en pratique. Crossdisciplines. Consulté le 18 mars 2025 à l’adresse https://crossdisciplines.hypotheses.org/877


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